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Loi sur la sécurité publique : les nouvelles règles d'usage et de port d’armes

Pénal - Procédure pénale, Droit pénal général, Informations professionnelles
03/03/2017
La loi sur la sécurité publique du comporte plusieurs dispositions relatives au recours à la force par les autorités publiques. Notamment, elle unifie les règles applicables à l’usage légitime des armes par les forces de l’ordre et légalise le port d’arme pour certains agents de sécurité privée. Le point sur ces nouvelles mesures.
La loi sur la sécurité publique unifie d’abord les règles applicables à l’usage légitime des armes par les forces de l’ordre. Comme le soulignait le Défenseur des droits, « l'enjeu [était] considérable [puisqu’] il s'agi[ssai]t de définir les conditions d'application d'un fait justificatif à une infraction pénale pouvant aller jusqu'à 'homicide » (Défenseur des droits, avis, 24 janv. 2017, n° 17-02). Ce nouveau cadre est désormais applicable, dans son ensemble, aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers (C. douanes, art. 56, 2) et aux militaires déployés sur le territoire national (réquisitions ou protection des installations militaires). Ponctuellement, les nouvelles règles sont applicables aux personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire et aux agents de police municipale spécialement autorisés. En outre, de nouvelles dispositions légalisent le port d’armes pour certains agents de sécurité privée, lorsqu’ils assurent la protection d’une personne exposée à des « risques exceptionnels d’atteinte à sa vie ».
 

A. Le recours à la force armée par les forces de l’ordre

 
Un nouveau chapitre, comportant un article unique, est créé au sein du Code de la sécurité intérieure, intitulé « usage des armes par les forces de l’ordre » (CSI, art. L. 435-1). Ce texte instaure un cadre commun d’usage des armes, inspiré des dispositions en vigueur jusqu’ici pour les militaires de la gendarmerie (C. défense, art. L. 2338-3, qui renvoie désormais à CSI, art. L. 435-1).

Rappelons que jusqu’alors, l’usage de la force par la Police nationale relevait exclusivement des dispositions générales du Code pénal sur la légitime défense (C. pén., art. 122-5), tandis que, pour la Gendarmerie nationale, il convenait également de se référer à l'article L. 2338-3 du Code de la défense. Le Défenseur des droits (avis précité) attirait néanmoins l’attention sur le fait que la réflexion à cet égard était « fondé[e] sur une idée fausse largement relayée, selon laquelle il y aurait une différence importante entre l'application de la légitime défense aux gendarmes et aux policiers nationaux, les gendarmes dispos[ant] d'une plus grande liberté dans l'usage des armes ». Ce, au regard de la mise en œuvre des textes par la jurisprudence nationale et européenne, au regard des exigences de nécessité absolue et de proportionnalité du recours à la force, indistinctement applicables aux policiers et aux gendarmes. Il notait également que « ce rapprochement apparaît cohérent et dans le prolongement du rattachement organique et opérationnel de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur réalisé par l'article 1er de la loi du 3 août 2009 » (L. n° 2009-971, 3 août 2009, JO 6 août).
 
L’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure prévoit désormais les cas dans lesquels les policiers et gendarmes peuvent « faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ». À cet égard, on relèvera que tant le Conseil d’État (CE, avis, 15 déc. 2016, n° 392480), que le Défenseur des droits (avis précité) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH, avis, 23 févr. 2017) approuvaient la référence expresse de ces deux conditions découlant notamment de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle il conviendrait d’ajouter celle de la simultanéité. Outre les cas d’usage de la force relevant d’une situation de légitime défense, dans les conditions de l’article 122-5 du Code pénal, l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure prévoit une liste des situations dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent faire usage de leurs armes. À cet égard, le Défenseur des droits et la CNCDH regrettaient une complexification du régime juridique, risquant de provoquer une perte de lisibilité et, partant, un manque de prévisibilité de la norme.
 

1. Atteintes à la vie et à l’intégrité physique


La première situation envisagée ne pose pas véritablement de difficulté. Il s’agit de celle où les personnes et/ou les forces de l’ordre sont attaquées ou menacées dans leur vie ou leur intégrité physique par des personnes armées. Cette situation renvoie donc, classiquement, aux hypothèses de l’article 122-5 du Code pénal.

L’article 12 de la loi pénitentiaire de 2009 (art. 12, L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, JO 25 nov.) est modifié pour que ce risque d’atteinte justifie également l’usage d’une arme à feu par les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire, en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée (L. sur la sécurité publique, précitée, art. 1er, VIII).

Cette situation concerne également les agents de police municipale nominativement autorisés à porter une arme, dans les conditions de l’article L. 511-5 du Code de la sécurité intérieure (CSI, art. L. 511-5-1, nouv.).
 

2. Dissipation des attroupements et défense des lieux occupés


Le deuxième cas prévu par le texte renvoie à la situation où « lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ». Cette hypothèse concerne également les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire (L. pénitentiaire (précitée), art. 12, modifié par L. sur la sécurité publique (précitée), art. 1er, VIII).

La CNCDH (avis précité) exprimait à cet égard ses craintes quant à d’éventuelles dérives. En effet, cette hypothèse s’apparente à la situation prévue à l’article L. 211-9 du Code de la sécurité intérieure, également visée par l’article L. 435-1 du même code et relative à la dissipation des attroupements avec usage de la force (C. pén., art. 431-3). Elle s’en distingue néanmoins en ce que le présent cas de défense des lieux occupés est bien plus large et que l’usage de la force n’est pas, ici, explicitement conditionné par l’existence de violences ou voies de fait. La nécessité de caractériser l’existence d’un danger pourrait néanmoins découler des conditions de l’article 122-5 du Code pénal et être déduite de la condition générale « d’absolue nécessité » de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure. La CNCDH observait à ce sujet que « la circonstance que des dispositions similaires trouvaient à s’appliquer aux gendarmes (C. défense, art. L. 2338-3) antérieurement à la réforme n’est pas de nature à dissiper [s]es inquiétudes », d’une part en raison de la plus grande probabilité des situations de confrontations en zone urbaine et, d’autre part, sur le différentiel d’heure de formation et d’entraînement entre la Police et la Gendarmerie.
 

3. Immobilisation d’un fugitif ou d’un véhicule en fuite et dangereux


L’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure étend également le pouvoir de faire usage des armes, explicitement reconnu jusqu’ici aux gendarmes, aux fins de contraindre un fugitif ou un conducteur à s’arrêter après ordre d’arrêt resté infructueux (C. défense, art. L. 2338-3, 3° et 4°).

Plus précisément, le 3° du texte envisage la situation où « immédiatement après deux sommations adressées à voix haute », les forces de l’ordre « ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ». Il faut ici rapprocher le 4° du texte, qui prévoit le possible usage des armes lorsque les forces de l’ordre « ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ».

La CNCDH (avis précité) s’inquiétait dans ce cadre de l’augmentation du risque des pertes humaines et relevait qu’ « il est à craindre que de telles dispositions ne conduisent à l’utilisation des armes à feu dans des situations relativement fréquentes de courses-poursuites en zone urbaine, les fonctionnaires de police en venant à considérer que le véhicule pourchassé crée, par la dangerosité de sa conduite, un risque pour l’intégrité des autres usagers de la route et des passants ». Elle regrettait donc la suppression de la condition d’ « atteinte imminente à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celle de tiers » de la version initiale du texte et la « dimension hypothétique » que comporte la rédaction finalement retenue. Il sera donc souhaitable, ici également, que la condition générale « d’absolue nécessité » de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure soit strictement mise en œuvre.
 

4. État de nécessité


La dernière hypothèse envisagée par le texte (CSI, art. L. 435-1, 5°) correspond à celle de l’article 122-4-1 du Code pénal, créé par la loi du 3 juin 2016 (L. n° 2016-731, 3 juin 2016, JO 4 juin) et abrogé par la présente loi (art. 1er, VII). Ce texte prévoyait une « nouvelle » cause d’irresponsabilité pénale, susceptible de bénéficier aux forces de l’ordre ayant fait usage de leur arme « dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsque l'agent a des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme ». Le 5° de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure reprend une formulation strictement identique, comme le recommandait d’ailleurs le Conseil d’État (avis précité).

Dans le cadre de l’adoption de la loi du 3 juin 2016 (précitée), le Conseil d’État avait particulièrement veillé au respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles et à l’articulation de l’article 122-4-1 du Code pénal avec l’état de nécessité (C. pén., art. 122-7). Le Conseil avait néanmoins relevé que « la disposition proposée n’apportera qu’une sécurité juridique relative aux interventions des forces de l’ordre, compte tenu de la marge d’appréciation laissée pour chacune des situations susceptibles de se produire » (CE, avis, 28 janv. 2016, n° 391004).
 

B. Le port d’armes

 
Jusqu’ici, l’article L. 613-12 du Code de la sécurité intérieure ne permettait pas aux agents de sécurité privée assurant la protection de l’intégrité physique des personnes (CSI, art. L. 611-1, 3°) d’être armés. Le texte a été remanié par la loi sur la sécurité publique (CSI, art. L. 613-12, mod.). Il prévoit la possibilité d’autoriser ces agents à porter une arme, lorsqu’ils assurent la protection d’une personne « exposée à des risques exceptionnels d’atteinte à sa vie ».
Le port d’arme dépendra d’une autorisation spéciale, dont la procédure sera déterminée par décret, de même que les conditions de vérification de l'aptitude professionnelle des agents concernés, les catégories et types d'armes susceptibles d'être autorisés, celles de leur acquisition, de leur conservation et dans lesquelles les armes sont portées pendant le service et remisées en dehors du service. À titre de comparaison, les modalités de port d’armes, par exemple des agents de police municipale spécialement habilités, sont prévues aux articles R. 511-11 et suivants du Code de la sécurité intérieure.

Le Défenseur des droits soulignait à cet égard « une certaine logique » dans cette extension du port d'arme, au regard de la possibilité actuelle d’autres agents de sécurité privée (convoyeurs de fonds, agents de sécurité des transports) de porter une arme dans l’exercice de leurs fonctions. Il indiquait néanmoins qu’il « sera très attentif aux critères qui seront établis par décret » (avis précité). De son côté, le Conseil d’État considérait que « l’introduction de cette exception ne soulève pas d’objection de principe, étant souligné que ces agents ne pourront faire usage de leur arme qu’en cas de légitime défense » (avis n° 392480, précité).

En revanche, la CNCDH (avis précité) considère « que le pas franchi par la loi sur la sécurité publique soulève des enjeux fondamentaux qui n’ont pas pu être réellement pris en compte, eu égard à la brièveté du débat auquel la mesure a donné lieu », s’agissant notamment de la délégation de fonctions régaliennes. Elle émettait d’ailleurs un avis défavorable à cette mesure, en raison de l’éloignement des modalités de sélection, de formation et d’encadrement de ces agents par rapport à celles des forces de l’ordre, du défaut d’inscription dans une chaîne de commandement centralisé, de l’absence de déontologie structurante et de la pression d’un marché concurrentiel. Enfin, était souligné le risque de « banalisation d’une présence armée dans l’espace public » et celui de l’augmentation de la circulation et de l’usage illicites des armes à feu. Ainsi, « au-delà des argumentations sécuritaires immédiates qui peuvent être avancées, c’est en fait toute une conception des rapports dans la société qui est mise en cause par de telles mesures ».
Source : Actualités du droit