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Intervention du GIPN et usage excessif de la force : la France condamnée par la CEDH

Pénal - International, Vie judiciaire
06/05/2020
À la suite d’une interpellation par une unité d’élite de la police d’une personne suspectée d’avoir commis des infractions pénales, des doutes sont apparus quant à la nécessité de cette intervention et la force physique dont il a été fait usage par le GIPN. La décision est sans appel, la France est condamnée par la CEDH dans un arrêt du 30 avril 2020 pour violation de l’article 3 de la Convention interdisant la torture et les traitements inhumains. 
Après l’identification d’auteurs présumés de menaces de mort et de subornation de témoins, le groupe d’intervention de la police nationale (GIPN) vient en soutien aux policiers de la circonscription de sécurité publique pour interpeller les suspects. Les circonstances de l’opération policière sont contestées.
 
« Selon le requérant, ignorant qu’il s’agissait de policiers, il frappa en état de légitime défense un policier, puis dans un second temps alors qu’il n’opposait plus de résistance, il fut roué de coups. Selon les policiers, bien que le requérant n’ait pas pu se méprendre sur leur identité, il se rebella violemment, les contraignant à faire un usage proportionné de la force » résume la Cour.
 
Alors que l'intéressé est placé en garde à vue, le médecin constate que son état est incompatible avec ces mesures « sous réserve de radiographie ». Néanmoins, le requérant reste sans soins et est conduit à l’hôpital neuf heures après son interpellation malgré un ordre de transfert de l’officier de police judiciaire. Il est hospitalisé deux jours après le diagnostic de plusieurs blessures. Un certificat médical conclut à une ITT d’une durée supérieure à huit jours (dix-neuf jours précisément).
 
Une ordonnance de non-lieu est rendue par le juge d’instruction sur les faits à l’origine de l’interpellation du requérant.
 
Cependant, des poursuites sont diligentées contre lui et il est convoqué afin d’être jugé pour des faits de violences volontaires avec arme à l’égard d’une personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours et pour détention d’arme sans autorisation. L’affaire est renvoyée à plusieurs reprises au motif qu’une instruction est parallèlement en cours à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile déposée par le requérant pour non-assistance à personne en péril, violences volontaires et actes de barbarie.
 
Finalement : 
- le tribunal correctionnel le reconnaît coupable de détention d’armes sans autorisation mais le relaxe des chefs de violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique, retenant la légitime défense ;
- et après une longue procédure, le tribunal correctionnel relaxe les deux fonctionnaires de police renvoyés devant lui pour omission de porter secours, rien ne permet d’affirmer que ces deux fonctionnaires avaient volontairement omis de porter assistance au requérant.
 
Le requérant décide de former une action en responsabilité de l’État pour obtenir réparation du préjudice subi compte tenu des conditions de son interpellation et de sa garde à vue. Le tribunal « considéra qu’en envoyant le GIPN pour procéder à l’interpellation du requérant, l’État avait commis une faute lourde engageant sa responsabilité ». Jugement infirmé par la cour d’appel qui ne retient aucune faute lourde de l’Etat.
 
Néanmoins, après un pourvoi en cassation, la Haute juridiction casse l’arrêt et renvoie la cause à une autre cour d’appel qui considère que « la faute lourde, engageant la responsabilité de l’État, n’était pas démontrée s’agissant des conditions d’intervention du GIPN pour procéder à l’interpellation du requérant ». En revanche, elle « jugea que l’État avait commis une faute lourde à raison du défaut de soins durant la garde à vue dont le requérant avait fait l’objet ».
 
La CEDH est saisie par l’interpellé. Ce dernier « se plaint d’avoir été victime de violences lors de son interpellation par la police, alors que l’intervention du GIPN, comme l’usage de la force, n’étaient ni nécessaires ni proportionné », il invoque une violation de l’article 3 de la Convention interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Motivations contredites par le gouvernement.
 
La Cour de Strasbourg précise alors que l’article 3 n’interdit pas le recours à la force par les agents de police lors d’une interpellation, cependant « il doit être proportionné et absolument nécessaire au vu des circonstances de l’espèce ». Il importe donc de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé :
- opposera une résistance à l’arrestation ;
- essayera de fuir ;
- provoquera des blessures ou des dommages ;
- supprimera des preuves.
 
La Cour tient à souligner « en particulier, que tout recours à la force physique par les agents de l’État à l’encontre d’une personne, qui n’est pas rendu strictement nécessaire par son comportement, porte atteinte à sa dignité humaine et, de ce fait, constitue une violation des droits garantis par l’article 3 de la Convention ».
 
Elle doit alors s’interroger sur le respect d’« un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la société et la sauvegarde des intérêts fondamentaux », sur la prise en compte des circonstances pertinentes pour la planification de l’opération et l’existence de garanties suffisantes ainsi que sur la nécessité de « la force physique dont il a été fait usage à l’encontre du requérant ».
 
En l’espèce la CEDH relève :
- que l’ensemble des certificats médicaux établis ont constaté que le requérant souffrait de blessures importantes ;
- que le traitement auquel il a été soumis a engendré des souffrances psychiques.
 
Sur la planification de l’opération, sans que la Cour ait à se prononcer sur le choix du service, l’intervention d’une unité spéciale doit être entourée de garanties suffisantes non respectées en l’espèce puisque ni le juge d’instruction ni le DDSP n’ont été informé de l’assistance du GIPN notamment.
 
Aussi, sur la proportionnalité de l’opération, au regard des circonstances particulières (présence de sa femme et de sa fille, objectif de l’interpellation etc.), les juges estiment elle n’a pas été planifiée et exécutée de manière à s’assurer que les moyens étaient strictement nécessaires pour interpeller une personne suspectée d’avoir commis une infraction pénale.
 
Et sur l’usage de la force, la CEDH rappelle qu’à la suite de procédures internes, « il ne lui appartient pas de substituer sa propre version des faits à celle des autorités internes qui doivent établir les faits sur la base des preuves recueillies par elles ». Et « si les constatations de celles-ci ne lient pas la Cour, laquelle demeure libre de se livrer à sa propre évaluation à la lumière de l’ensemble des matériaux dont elle dispose, elle ne s’écartera normalement des constatations de fait des juges nationaux que si elle est en possession de données convaincantes à cet effet ».
 
Alors au regard des éléments qu’elle a à sa disposition (constats médicaux, mode opératoire utilisé par les policiers etc.), elle conclut que « les moyens employés n’étaient pas strictement nécessaires pour permettre l’interpellation du requérant et que la force physique dont il a été fait usage à son encontre n’a pas été rendue telle par son comportement ».
 
La CEDH déclare qu’il y a eu une violation de l’article 3 de la Convention et condamne la France à indemniser le requérant pour dommage matériel et dommage moral.
Source : Actualités du droit