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Arrêté de péril et bail commercial : la suspension automatique des loyers ne s’applique pas

Affaires - Commercial
Immobilier - Immobilier
16/09/2025

Lorsqu’un local loué dans le cadre d’un bail commercial fait l’objet d’un arrêté de péril grave et imminent, la question du paiement des loyers devient particulièrement sensible. Une décision récente de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 3 juill. 2025, n° 23-20.553) apporte une précision importante sur l’application des textes relatifs à la cessation des loyers en cas de péril.

Les faits à l’origine du litige

Un immeuble a été frappé d’un arrêté de péril grave et imminent. Les propriétaires ont été mis en demeure par l’autorité administrative de mettre en œuvre diverses mesures de sécurité, notamment le maintien des ouvertures dégradées et l’installation d’un tunnel de protection pour les piétons.

Malgré cette situation, les bailleurs avaient consenti à la locataire un nouveau bail commercial de neuf ans, lequel avait commencé à courir avant l’adoption de l’arrêté de péril.

Estimant que les conditions d’exploitation de son activité étaient compromises, la locataire a assigné les bailleurs en référé. Elle réclamait le remboursement des loyers versés depuis l’arrêté et la suspension de son obligation de paiement jusqu’à l’exécution des travaux prescrits.

Le débat juridique : logement ou bail commercial ?

Pour fonder sa demande, la locataire invoquait l’article L. 521-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH). Ce texte prévoit que, lorsqu’un logement est concerné par un arrêté de mise en sécurité, le loyer cesse d’être dû à compter du premier jour du mois suivant la notification ou l’affichage de l’arrêté, jusqu’à la levée de ce dernier. Les sommes indûment perçues doivent alors être restituées au locataire.

La cour d’appel a suivi ce raisonnement, considérant que ces dispositions étaient applicables aux baux commerciaux. Elle a donc suspendu les loyers dus par la locataire à compter de l’arrêté de péril.

La position de la Cour de cassation

La Haute juridiction n’a pas validé cette interprétation. Elle a rappelé que l’article L. 521-2 du CCH, dans sa version issue de l’ordonnance du 16 septembre 2020, vise exclusivement les logements. En conséquence, ce dispositif protecteur ne peut pas être étendu aux locaux commerciaux.

Ainsi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision en appliquant ces dispositions à un bail commercial. La suspension automatique des loyers ne pouvait donc pas être prononcée sur ce fondement.

Quels enseignements pratiques ?

Cette décision confirme une distinction claire entre le régime applicable aux logements et celui des locaux commerciaux :

  • Logements : l’arrêté de péril entraîne de plein droit la suspension des loyers.
  • Baux commerciaux : aucune suspension automatique n’est prévue.

Le locataire commercial devra donc mobiliser d’autres fondements, tels que l’exception d’inexécution, une demande de réduction de loyer, ou la résiliation si les conditions d’exploitation sont gravement affectées.

Il convient aussi de rappeler que, conformément à l’article 834 du Code de procédure civile, le juge des référés peut intervenir en cas d’urgence pour ordonner des mesures provisoires, mais uniquement lorsqu’il n’existe pas de contestation sérieuse.

En définitive, cette affaire illustre l’importance de la qualification des locaux et des textes applicables. Elle invite les bailleurs comme les locataires à une vigilance accrue lorsqu’un immeuble commercial est frappé d’un arrêté de péril. Les règles protectrices prévues pour les logements ne sauraient être transposées automatiquement aux baux commerciaux.