Retour aux articles

Poursuite d’un navire pollueur : quel État est compétent ?

Environnement & qualité - Environnement
Pénal - Procédure pénale
04/10/2019
La Cour de cassation a dû se pencher sur le cas d’un navire pollueur étranger dans la zone économique exclusive d’un État. L’État côtier peut-il s’opposer à la suspension des poursuites engagées par l’État du pavillon ? Oui, mais uniquement dans certains cas.
Le 24 février 2016, a été constaté la présence d’une nappe d’hydrocarbures autour d’un navire battant pavillon du Libéria (pour rappel l’État du pavillon est l’État qui a immatriculé le navire) se trouvant en zone économique exclusive française. La société a été citée devant le tribunal correctionnel pour rejet d’une substance polluante.
 
Moins de deux mois après, le 6 avril, le Libéria a informé les autorités françaises qu’un tribunal avait débuté une enquête et une procédure judiciaire contre les armateurs et opérateurs du navire, sur action du ministère de la justice libérien. Il a sollicité à plusieurs reprises la suspension des poursuites engagées par le France en se fondant sur l’article 228 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay.
 
Le 2 novembre 2016, le Premier ministre français refuse la demande, « faute de disposer d’élément précis permettant d’envisager des poursuites effectives, tant en procédure que sur le fond du droit, de telle sorte qu’il maintenait la compétence de la juridiction française ». Le Libéria en a officiellement été informé le 26 novembre 2016. La société a été condamnée par le tribunal correctionnel en janvier 2017.
 
La société, le ministère public et huit parties civiles ont interjeté appel. La Cour d’appel précise que l’article 228 a été mis dans le débat par le ministère public pour soutenir la compétence de la juridiction française, mais que les parties ne peuvent se prévaloir dudit article. Aussi, « cette Convention soumet la poursuite en France à un certain nombre de conditions préalables dont il appartient au juge répressif de déterminer si elles ont été ou non remplies, ce qui implique l’analyse de la réponse donnée par l’État français à la demande émanant de l’État étranger ». Les juges du second degré précisent que le Premier ministre français n’a pas fait valoir l’une des clauses de sauvegarde qui prévoit que l’État côtier n’est pas tenu de déférer à la demande de suspension des poursuites présentée par l’État du pavillon.
 
Un pourvoi a été formé par le procureur près la cour d’appel de Rennes. La Cour de cassation casse l’arrêt et le renvoie pour qu’il soit jugé à nouveau, conformément à la loi. Pour elle, l’article 228 de la Convention des Nations prévoit que « lorsque des poursuites ont été engagées par un État en vue de réprimer une infraction aux lois et règlements applicables ou aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires, commise au-delà de sa mer territoriale, dans sa zone économique exclusive, par un navire étranger, ces poursuites sont suspendues dès lors que l’État du pavillon a lui-même engagé des poursuites du chef de la même infraction dans les six mois suivant l’introduction de la première action ».
 
Ainsi, « l’État côtier peut s’opposer à cette suspension lorsque les poursuites qu’il a engagées portent sur un cas de dommage grave causé à lui-même ou lorsque l’État du pavillon a, à plusieurs reprises, manqué à son obligation d’assurer l’application effective des règles et normes internationales en vigueur à la suite d’infractions commises par ses navires ». La haute juridiction rajoute « que la décision par laquelle l’État côtier s’oppose à la suspension des poursuites n’étant pas détachable de la conduite de ses relations avec l’État du pavillon, il n’appartient pas au juge répressif français d’en apprécier la validité ». La cour d’appel n’avait donc pas à apprécier la validité de la décision du Premier ministre.
Source : Actualités du droit