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La semaine de la procédure pénale

Pénal - Procédure pénale
20/04/2020
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en procédure pénale.
Audience – publication de prises de vues – droit à l’image
« Les 8 et 9 novembre 2017, deux photographies, la première prise le 18 octobre 2017, à l’audience de la cour d’assises de Paris spécialement composée, sur laquelle on voit Mme T. S, témoin, et M. D. U, un des accusés, la seconde prise le 2 novembre 2017, dans la salle d’audience, avant le verdict dudit procès, sur laquelle on voit un autre accusé, M. M. W, et ses avocats, ont été mises en ligne, sur le compte Twitter de l’hebdomadaire Paris-Match et sur le site internet de cet organe de presse, et publiées dans le magazine lui-même.
Mme O., directrice de la publication de l’organe de presse, a été poursuivie du chef précité devant le tribunal correctionnel, qui l’a déclarée coupable.
Elle a relevé appel de ce jugement, ainsi que le ministère public.
 
Sur le moyen pris en ses deux premières branches
Pour confirmer le jugement, l’arrêt énonce en substance que, si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives aux procédures en matière pénale, particulièrement, comme en l’espèce, s’agissant d’une affaire de terrorisme ayant eu des conséquences dramatiques et un important retentissement médiatique, la liberté d’information doit être mise en balance avec les autres intérêts en présence, au nombre desquels la sérénité des débats et, spécialement, la spontanéité et la sincérité des dépositions et attitudes des accusés et des témoins, qui dépend notamment, dans un procès aussi médiatisé, de la certitude qu’aucune publication de prises de vue n’interviendra, ainsi que le droit à l’image des parties concernées qui doit être préservé dans l’enceinte judiciaire.
Les juges ajoutent que l’accès au public de la salle d’audience était libre et que l’information du public était garantie par la publication de comptes rendus des débats et de dessins d’audience, et qu’au moment des publications litigieuses, l’affaire en cause n’était pas jugée définitivement, un appel étant en cours.
Ils concluent que la prohibition de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas méconnu les dispositions conventionnelles invoquées au moyen.
Si, en effet, toute personne a droit à la liberté d’expression et si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives, notamment, aux procédures en matière pénale ainsi qu’au fonctionnement de la justice, l’interdiction de tout enregistrement, fixation ou transmission de la parole ou de l’image après l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, et de leur cession ou de leur publication, constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à garantir la sérénité et la sincérité des débats judiciaires, qui conditionnent la manifestation de la vérité et contribuent ainsi à l’autorité et à l’impartialité du pouvoir judiciaire.
En conséquence, les griefs, dont le premier est devenu sans objet à la suite de la décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré la première phrase des premier et troisième alinéas et le quatrième alinéa de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse conformes à la Constitution, doivent être écartés.
Sur le moyen pris en sa troisième branche
Pour confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité spécialement du chef de la photographie prise le 2 novembre 2017, l’arrêt retient que l’accusé qui y figure, pas davantage que ses avocats, ne pouvait s’attendre à faire l’objet de clichés photographiques alors qu’il se trouvait encore dans la salle d’audience et qu’il se savait protégé par l’interdiction édictée par l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, de sorte que doit être sanctionnée l’atteinte faite à l’image de l’accusé pendant l’attente du verdict alors qu’il importe de garder à l’enceinte judiciaire son caractère préservé.
En statuant ainsi, l’arrêt a fait l’exacte application des textes visés au moyen.
En effet, l’interdiction instituée par l’article 38 ter précité, qui commence dès l’ouverture de l’audience et se prolonge jusqu’à ce que celle-ci soit levée, s’applique pendant les périodes de suspension de l’audience ».
Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-81.769, P+B+I *
 
 
Violation du secret de l’enquête – secret professionnel – droit à l’image
« Après classement sans suite de sa plainte du 23 juin 2010, M. O a porté plainte et s’est constitué partie civile des chefs de violation du secret de l’enquête et recel de ce délit, le 31 août 2010.
A l’appui de celle-ci, il a produit deux articles de presse, parus les 27 et 28 juin 2007 dans les journaux Le Parisien et Le Monde, qui évoquaient les circonstances de son interpellation, le 25 juin 2007, à Paris, pour des faits de dégradation dans le réseau métropolitain, et rapportaient notamment, par l’emploi de guillemets, les propos suivants de M. I. S, commandant de police en charge de l’enquête :
Au sein de l’article paru le 27 juin 2007 dans le journal Le Parisien, "Ce sont les plus gros tageurs de ces dernières années (...) En trois ans, on peut estimer que la remise en état des rames de métro qu’ils ont dégradées se monte à près de 600 000 euros. Un record.", "Nous savions qu’ils étaient très bien renseignés sur les dépôts de la RATP, ils connaissaient toutes les mesures de sécurité qu’il fallait respecter pour éviter tout accident. Nous voulions surtout les prendre en flagrant délit. C’était la seule façon pour nous de nous assurer qu’ils étaient les bons tageurs" ;
Au sein de l’article paru le 28 juin 2007 dans le journal Le Monde, "les deux plus gros tagueurs de ces dernières années", "Ils opèrent en toute connaissance de cause avec un but : obtenir la plus grande notoriété possible en multipliant les signatures, si possible dans des sites difficiles d’accès" (...) "Le policier parle de "drogués du tag", capables de passer leurs nuits dans les dépôts ou les tunnels du métro".
Une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée le 18 janvier 2011 des chefs de violation du secret professionnel et recel.
M. S a été placé sous le statut de témoin assisté du chef de violation du secret professionnel.
Le juge d’instruction a dit n’y avoir lieu à suivre, par ordonnance du 16 août 2017.
Appel a été interjeté par la partie civile.
 
Vu les articles 11 du Code de procédure pénale et 226-13 du Code pénal :
Selon le premier de ces textes, toute personne qui concourt à la procédure d’enquête ou d’instruction est tenue au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.
Selon le second, constitue une violation du secret professionnel, la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, quelles que soient la portée et la valeur de celle-ci.
Pour confirmer l’ordonnance de non-lieu, l’arrêt attaqué énonce que seules les citations entre guillemets correspondent avec certitude à des propos tenus par M. S, ce que ce dernier ne conteste pas, à l’exception du terme de "drogués du tag".
Les juges exposent que les propos de ce fonctionnaire de police, tels que retranscrits par le journaliste, ne comprennent aucune indication permettant d’identifier les personnes interpellées, et ne contiennent aucune révélation d’une information à caractère secret au sens des dispositions de l’article 226-13 du Code pénal.
Ils ajoutent qu’il s’agit de commentaires, et non d’informations couvertes par le secret de l’enquête et de l’instruction.
En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
En effet, seul le ministère public est investi du droit de communiquer sur une enquête en cours, dans les conditions restrictives énoncées par le troisième alinéa de l’article 11 du Code de procédure pénale, de sorte que la communication de renseignements connus des seuls enquêteurs par un officier de police judiciaire à des journalistes est susceptible de constituer, le cas échéant, la violation du secret professionnel par une personne qui concourt à la procédure.
La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-80.909, P+B+I *
 

Partie civile – constitution incidente – identité d’objet et de résultat
«
 A. Y, après avoir travaillé à partir de l’année 1973 pour la société Sollac, devenue le groupe Arcelor, dans son usine située à Grande-Synthe (59), s’est révélé être atteint d’un mésothéliome malin, dont le caractère professionnel, du fait de son lien avec l’amiante, a été reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie.
L’intéressé a déposé plainte le 20 février 2005 auprès du procureur de la République de Dunkerque, lequel s’est dessaisi au profit du pôle de santé publique du parquet de Paris le 17 mai 2005.
Le ministère public a établi le 12 décembre 2005 un réquisitoire introductif visant la plainte de A. Y et mentionnant les qualifications de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de trois mois par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité, non empêchement d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle, abstention volontaire de combattre un sinistre, non assistance à personne en péril.
Après le décès de A. Y, des suites de sa maladie, le ministère public a, le 4 octobre 2006, requis supplétivement le juge d’instruction d’informer du chef d’homicide involontaire par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
Le ministère public a encore requis, les 29 septembre 2009 et 2 décembre 2010, le juge d’instruction de recevoir la constitution de partie civile incidente des ayants droit respectifs d’ D. Q et E.. K, décédés tous deux dans des circonstances analogues à celles de A. Y.
De nombreuses victimes s’étant ensuite manifestées auprès du juge d’instruction, l’invitant à étendre ses investigations à leur situation, le ministère public a délivré un réquisitoire supplétif, en date du 3 novembre 2015, précisant expressément "qu’il soit supplétivement instruit sur les faits d’homicides involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement sur les personnes d’ D. Q et E. K, faits commis entre le 17 août 1977 et la fin de leur exposition à l’amiante sur leur lieu de travail", puis des réquisitions en date du 6 novembre 2015 invitant le juge d’instruction à "continuer à informer sur les faits concernant A. Y, D. Q et E. K".
Le juge d’instruction a rendu un avis de fin d’information le 22 mai 2017, à la suite de quoi il a reçu le 12 octobre 2017 des courriers du conseil de l’ARDEVA, partie civile, accompagnés de nombreuses pièces, l’informant de la constitution de partie civile de cent soixante et une personnes se disant victimes de faits "directement liés aux faits ayant conduit à l’ouverture de la présente information judiciaire".
Par ordonnance du 24 octobre 2017, le juge d’instruction a constaté l’irrecevabilité des cent soixante et une plaintes avec constitution de partie civile, conformément aux réquisitions du ministère public du 18 octobre 2017. Les parties civiles ont interjeté appel de cette décision, tandis que le ministère public a requis un non-lieu dans l’information le 22 novembre 2017.
 
Vu les articles 2, 3 et 87 du Code de procédure pénale :
La constitution de partie civile incidente devant la juridiction d’instruction, telle que prévue par le dernier de ces textes, n’est recevable qu’à raison des seuls faits pour lesquels l’information est ouverte, ou de faits indivisibles.
Pour infirmer l’ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevables les constitutions de partie civile incidentes, l’arrêt attaqué énonce que l’intervention d’une partie civile est recevable lorsque les faits poursuivis sont indivisibles, ayant une identité d’objet et de résultat et procédant d’une même et unique action coupable de sorte qu’il existe, entre eux, un lien tel que l’existence des uns ne peut se comprendre sans celle des autres.
Les juges ajoutent que tel est le cas en l’espèce puisque les faits dénoncés par les cent soixante et une parties civiles concernent des salariés qui ont exercé non seulement au sein de la même société mais aussi sur les mêmes sites industriels, plus de 82 % d’entre eux ayant ainsi travaillé au sein du même établissement de Dunkerque que A. Y - durant des périodes d’embauche comparables à celles de celui-ci et d’D. Q et E. K dont les constitutions de partie civile ont, d’ores et déjà, été déclarées recevables entre 2005 et 2010 et ce, des mêmes chefs.
Ils précisent encore que ces salariés dont la situation a donné lieu aux constitutions de partie civile contestées, se sont trouvés soumis au même process que A. Y, D. Q et E. K, process unique, caractérisé au sein de la société Sollac Atlantique, par une utilisation systématique de l’amiante pour la protection thermique des salariés et de l’outil industriel, par une absence d’identification claire, avant 1996, des risques inhérents à l’amiante sur ces sites industriels nonobstant la réglementation en matière d’assainissement des locaux, par un défaut de diffusion d’informations et de directives précises aux salariés.
Ils en concluent que les faits dénoncés par les cent soixante et une parties civiles appelantes sont susceptibles de relever des mêmes fautes commises au préjudice de A. Y, D. Q et E. K, par un ou plusieurs auteurs, ayant pu occasionner des lésions ayant entraîné, chez tous les salariés concernés, des atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique.
 
En se déterminant ainsi, alors que la constitution de partie civile des cent soixante et un plaignants était fondée sur des faits qui ne peuvent être regardés que comme distincts de ceux dont le juge d’instruction était saisi par les réquisitoires introductif et supplétifs du ministère public, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
En effet, en premier lieu, le juge d’instruction n’était saisi, aux termes des différents réquisitoires introductif et supplétifs, que des faits commis au préjudice de A. Y, D. Q et E. K.
En second lieu, la date d’intoxication par l’amiante de chaque travailleur n’est pas connue, ce qui, compte tenu de la succession de nombreux employeurs sur la longue période concernée, ne permet pas d’inférer une identité d’objet et de résultat de faits procédant d’une même et unique action coupable. Il en résulte que le caractère indivisible des faits n’est pas établi.
Il s’ensuit que la cassation est encourue. N’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire ».
Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-80.005, P+B+I *
 
 
Crédit de réduction de peine – retrait – mauvaise conduite
« M. I. U a été placé en détention provisoire, dans le cadre d’une procédure criminelle le 22 septembre 2012.
La cour d’assises du Var, statuant en appel, l’a condamné à vingt ans de réclusion criminelle, le 10 mars 2017, du chef d’assassinat et complicité. Cette décision a été mise à exécution par l’administration pénitentiaire le 27 avril 2018 à réception de l’arrêt de la Cour de cassation, ayant déclaré irrecevable le pourvoi de M. U.
Par ordonnance en date du 29 mai 2018, le juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Grasse a prononcé un retrait de crédit de réduction de peine à hauteur de trente jours à l’encontre de M. U..., sur la période du 27 avril 2016 au 27 avril 2017, en raison d’un incident en date du 5 juillet 2016, un téléphone portable, une batterie et une carte SIM ayant été trouvés lors d’une fouille inopinée.
M. U a relevé appel de cette décision.
 
Vu l’article D115-10 du Code de procédure pénale :
En cas de mauvaise conduite survenue pendant l’incarcération subie sous le régime de la détention provisoire, l’ordonnance du juge de l’application des peines retirant le bénéfice du crédit de réduction de peine doit intervenir dans le délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la condamnation est ramenée à exécution, quelle que soit la date de l’événement caractérisant la mauvaise conduite du condamné.
Pour infirmer l’ordonnance du juge de l’application des peines, l’ordonnance attaquée énonce que ce dernier a fondé sa décision sur un incident en date du 5 juillet 2016 alors qu’en application de l’article D115-9 du Code de procédure pénale, cette décision de retrait de crédit de réduction de peine ne peut intervenir au delà d’un délai d’un an à compter de la date du dernier événement caractérisant la mauvaise conduite du condamné.
 
En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l’application des peines a méconnu le texte susvisé.
En effet, l’ordonnance du juge de l’application des peines retirant le bénéfice du crédit de réduction de peine pour un incident survenu pendant l’incarcération subie sous le régime de la détention provisoire était intervenue dans les quatre mois à compter de la date à laquelle la condamnation avait été ramenée à exécution.
La cassation est par conséquent encourue de ce chef ».
Cass. crim., 25 mars 2020, n° 19-81.915, P+B+I *
 
 
Action civile – droit à réparation – extinction de l’action publique
« M. S, en sa qualité de président, puis d’administrateur, de la société anonyme d’investissement Global Equities, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d’escroquerie commise au préjudice de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (ci-après "la CRPN"), abus de biens sociaux au préjudice de la société Global Equities, et blanchiment.
Il lui était notamment reproché d’avoir trompé la CRPN pour la déterminer à lui remettre des fonds, en l’espèce, des courtages excessifs eu égard aux pratiques en vigueur et dont le taux était déterminé arbitrairement par lui seul, de façon occulte, et en profitant de la pratique des opérations en net, à hauteur de 2 759 959 euros sur les opérations actions, 1 886 753 euros sur les opérations réalisées sur les US Strips et 817 716 euros sur les opérations réalisées dans le cadre de la gestion du fonds commun de placement Socrate.
Il lui était par ailleurs reproché, en sa qualité de président, puis d’administrateur, de la société Global Equities, d’avoir détourné une partie du chiffre d’affaires de cette société émanant de la société Pershing à hauteur de la somme de 339 059, 26 euros, sans intégrer cette somme en comptabilité et en procédant à son virement vers un compte à l’étranger ouvert au nom de la société.
Il lui était enfin reproché d’avoir blanchi le produit du délit d’abus de biens sociaux en faisant échapper à la comptabilité de la société Global Equities 30 % du chiffre d’affaires émanant de la société Pershing et revenant à la société en ne l’entrant pas en comptabilité et en le faisant virer directement sur un compte ouvert au nom de la société dans les livres de la Banque générale du Luxembourg, et ce en utilisant les facilités procurées par l’exercice de l’activité professionnelle de la société Global Equities, société d’investissement.
Par jugement du 23 février 2016, le tribunal correctionnel a constaté l’extinction de l’action publique du fait de l’autorité de la chose jugée s’agissant des faits d’escroquerie, et est entré en voie de condamnation pour le surplus des faits reprochés à M. S.
Sur les intérêts civils, le tribunal a débouté la CRPN de ses demandes en raison de l’extinction de l’action publique.
M. S... a par ailleurs été condamné à payer à la société EMJ, en sa qualité de liquidateur de la société Global Equities, la somme de 339 059, 26 euros à titre de dommages et intérêts.
La CRPN a relevé appel de la décision, ainsi que M. S, qui a précisé que son appel portait uniquement sur les intérêts civils dus à la société EMJ en sa qualité de liquidateur de la société Global Equities.
Le ministère public n’a pas relevé appel de la décision.
 
Vu l’article 3 du Code de procédure pénale :
Selon ce texte, les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l’action civile en réparation du dommage né d’une infraction qu’accessoirement à l’action publique.
Il s’en déduit que, lorsqu’elle est saisie du seul appel de la partie civile formé à l’encontre d’un jugement ayant constaté l’extinction de l’action publique et débouté l’intéressée de ses demandes, la cour d’appel n’est compétente pour prononcer sur le droit à réparation de la partie civile à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, que si elle a préalablement constaté que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré l’action publique éteinte.
Pour déclarer recevable l’action civile de la CRPN et condamner M. S à lui payer 6 545 673, 40 euros à titre de dommages et intérêt, l’arrêt retient que nonobstant l’absence d’appel du ministère public ou du prévenu sur l’action publique, la CRPN tenait des dispositions de l’article 497, 3°, du Code de procédure pénale, le droit de voir rechercher par la juridiction répressive si les faits poursuivis étaient susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur et de lui ouvrir droit à réparation.
Les juges ajoutent qu’exercée devant la juridiction pénale avant que soit énoncée cette extinction des poursuites, l’action civile de la CRPN ne saurait être atteinte par la prescription et la juridiction répressive demeure compétente pour en connaître.
Ils concluent que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a déclaré la constitution de partie civile de la CRPN recevable, mais infirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en réparation, de sorte qu’il appartient à la cour d’apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles présentées par la CRPN.
En se déterminant ainsi, sans s’être préalablement prononcée sur l’extinction de l’action publique du fait de l’autorité de la chose jugée retenue par les premiers juges, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
La cassation est par conséquent encourue ».
Cass. crim., 1er avr. 2020, n° 19-80.069, P+B+I *
 

Mesure de gel de biens – juridiction étrangère – compétence du juge français
« Les époux M., ressortissants roumains, demeurant en Roumanie, ont créé la SCI Allegra aux fins d’acquérir deux biens immobiliers situés dans la commune de Ramatuelle pour un prix total de 6 495 000 euros.
Cet achat a été financé intégralement par un prêt en date du 5 juin 2014 auprès du Crédit du Nord qui bénéficie d’une inscription de privilège de prêteur de deniers pour l’un des biens et d’une inscription d’hypothèque conventionnelle sur le deuxième bien.
La SCI Allegra ayant cessé ses remboursements à compter de juin 2015, la banque a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt le 17 septembre 2015 et a mis le débiteur en demeure de lui régler la somme de 3 063 175,56 euros, a fait délivrer un commandement de payer par voie d’huissier valant saisie le 25 novembre 2015 et a engagé une procédure civile devant le juge de l’exécution immobilier du tribunal de grande instance de Draguignan le 22 avril 2016 aux fins de voir ordonner la vente forcée des lots visés par le commandement.
Le 28 janvier 2016, les autorités judiciaires roumaines ont notifié à M. Q. M, soupçonné, notamment, de corruption et de blanchiment, une ordonnance de séquestre conservatoire sur chacun de ces deux biens susceptibles d’avoir été acquis avec le produit des infractions susvisées.
A la suite du rejet de sa contestation, les mêmes autorités ont, le 1er février 2016, sollicité l’exécution d’une mesure de gel concernant les deux biens immobiliers et adressé, à cette fin, au procureur de la République, le certificat de gel ainsi qu’une demande d’entraide judiciaire.
Le juge d’instruction de Draguignan a fait droit à ces demandes de gel par ordonnances du 22 avril 2016.
La chambre de l’instruction, saisie par la SCI Allegra, d’une contestation de ces décisions, a déclaré celle-ci irrecevable comme tardive par un arrêt du 10 novembre 2016 confirmé par la Cour de cassation par décision en date du 5 avril 2018.
Le 6 juillet 2016 la société Crédit du Nord a adressé au magistrat instructeur une requête sur le fondement de l’article 706-146 du Code de procédure pénale afin d’être autorisée à poursuivre les mesures d’exécution en cours en sa qualité de créancier titulaire de sûretés et muni d’un titre exécutoire.
Le magistrat instructeur s’est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande par ordonnance du 22 août 2018 dont le Crédit du Nord a interjeté appel.
 
Pour confirmer l’ordonnance d’incompétence du juge d’instruction, l’arrêt attaqué énonce qu’il n’incombe pas à ce juge de se prononcer sur le sort des biens mis sous main de justice alors que seul le magistrat qui avait ordonné ou autorisé la saisie est compétent pour le faire.
Les juges ajoutent qu’en l’espèce, le juge français, qui a exécuté au regard de conventions internationales la mission qui lui avait été confiée, peut toutefois, conformément aux dispositions de l’article 695-9-30 du Code de procédure pénale, ordonner la mainlevée totale ou partielle de la mesure, après avoir permis à l’autorité étrangère de se prononcer sur la demande conformément aux dispositions précitées. En l’espèce, le juge d’instruction a, par courriel du 2 février 2018, sollicité les autorités roumaines qui sont demeurées taisantes, ne permettant pas au juge de se prononcer.
Les juges relèvent qu’en tout état de cause, l’autorité judiciaire n’était pas saisie sur le fondement du texte ci-dessus mentionné, mais sur les dispositions de l’article 706-144 du même Code qui précisent que seul le juge ayant ordonné ou autorisé la saisie d’un bien peut se prononcer sur une pareille demande.
Ils soulignent que l’autonomie du droit des saisies spéciales à l’égard des procédures d’exécution des décisions de gel de biens prises par les autorités étrangères telles qu’elles sont organisées par les articles 695-9-1 et suivants du Code de procédure pénale a été affirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans deux arrêts en date du 13 février 2013 par lesquels elle a considéré que le recours contre la "saisie" du solde créditeur d’un compte bancaire en exécution de la décision de gel de biens rendue par l’autorité judiciaire néerlandaise devait être formé dans les conditions de l’article 695-9-22 du Code de procédure pénale, seul applicable en l’espèce, et non dans celles de l’article 706-148 du même Code relatif à la saisie de patrimoine qui était invoquée par l’établissement bancaire qui, s’estimant créancier privilégié, avait interjeté appel contre la décision de saisie.
La chambre de l’instruction conclut qu’en l’état de la procédure, il appartenait aux autorités roumaines de se déterminer et non au magistrat instructeur français qui n’avait reçu pour mandat, en vertu de conventions internationales, que de ramener à exécution la demande d’entraide pénale internationale dont il était porteur.
En prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.
En effet, le juge français qui a pour mission d’exécuter une mesure de gel décidée par une juridiction étrangère en vertu des dispositions des articles 695-9-1 et suivants du Code de procédure pénale, ne dispose pas des pouvoirs à lui dévolus par les articles 706-144 et 706-146 du même Code lorsqu’il ordonne lui-même une mesure de saisie.
Ainsi, le moyen doit être écarté.
 
Pour déclarer irrecevable la demande de mainlevée de la mesure de gel présentée devant la chambre de l’instruction par le Crédit du Nord, l’arrêt attaqué relève au préalable qu’en vertu de l’article 695-9-30 du Code de procédure pénale, la société Crédit du Nord peut solliciter la mainlevée de la décision de gel.
Les juges ajoutent que, saisie de la demande d’autorisation de poursuivre la procédure de saisie, unique objet de l’appel, la chambre de l’instruction ne peut se prononcer sur la demande de mainlevée de gel des biens immobiliers et qu’il appartient à la société Crédit du Nord de saisir le juge d’instruction à cette fin.
La chambre de l’instruction conclut que la demande subsidiaire est irrecevable comme n’ayant pas été formée préalablement devant le juge d’instruction.
En l’état de ces énonciations, et dès lors que le demandeur ne pouvait, à l’occasion d’un appel contre l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction s’est déclaré incompétent pour statuer sur une demande d’autorisation de reprendre une procédure d’exécution civile contre un bien faisant l’objet d’une mesure de gel exécutée par ce magistrat, saisir la chambre de l’instruction d’une demande de mainlevée de cette mesure, étrangère à l’unique objet de l’appel, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.
Dès lors, le moyen n’est pas fondé ».
Cass. crim., 1er avr. 2020, n° 19-81.760, P+B+I *
 
Saisie d’une somme d’argent – délai
« Dans le cadre de l’information judiciaire susvisée, sur autorisation du juge d’instruction, et selon procès-verbal en date du 8 février 2019, l’officier de police judiciaire a saisi les sommes inscrites au crédit du compte bancaire n° [...] dont est titulaire la société MWI e-center à l’agence du Crédit mutuel de Saint-Martin, soit la somme de 552 548, 22 euros.
Par ordonnance en date du mardi 19 février 2019, le juge d’instruction a ordonné le maintien de la saisie.
Par déclaration au greffe en date du 1er mars 2019, le conseil de la société MWI e-center a interjeté appel de la décision.
 
Vu les articles 706-145 et 706-154 du Code de procédure pénale :
Il résulte du second de ces textes que, si l’officier de police judiciaire peut être autorisé par le procureur de la République ou le juge d’instruction à procéder à la saisie d’une somme d’argent versée sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, ou le juge d’instruction est tenu de se prononcer par ordonnance motivée sur le maintien ou la mainlevée de la saisie dans un délai de dix jours à compter de sa réalisation, l’autorisation donnée cessant de produire effet à l’expiration de ce délai.
Selon le premier, nul ne peut valablement disposer des biens saisis dans le cadre d’une procédure pénale.
Il se déduit de ces textes que la date de la notification de la décision de saisie par l’officier de police judiciaire à l’établissement tenant le compte objet de la mesure, qui entraîne l’indisponibilité immédiate de la somme d’argent versée sur le compte, constitue le point de départ du délai de dix jours prévu par l’article 706-154 du Code de procédure pénale, peu important la date à laquelle la somme a été consignée auprès de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).
Pour écarter le moyen pris de la nullité de l’ordonnance, tiré de ce que celle-ci a été rendue postérieurement à l’expiration du délai de dix jours prévu par l’article 706-154 du Code de procédure pénale, l’arrêt retient que la saisie envisagée par l’officier de police judiciaire avec l’accord du magistrat a été requise le 8 février 2019, mais que le transfert des sommes du compte tenu par l’établissement bancaire requis sur le compte de l’AGRASC n’est intervenu que le 11 février 2019. Les juges ajoutent que le terme de réalisation prévue par la loi doit s’entendre comme l’acte par lequel les fonds sont retirés de manière effective du compte de la personne saisie et versés à l’AGRASC, de sorte que c’est la seule date de la réalisation qui est le point de départ du délai de dix jours prévus par le texte ci-dessus rappelé. Ils en déduisent que le délai de dix jours expirait donc en l’espèce le 21 février 2019 à minuit et que, l’ordonnance du juge d’instruction en date du 19 février 2019 ayant été rendue dans les délais prévus par la loi, il n’y a pas lieu de prononcer sa nullité.
En se déterminant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la décision de saisie de l’officier de police judiciaire avait été notifiée à l’établissement tenant le compte objet de la mesure le 8 février 2019, et qu’ainsi l’autorisation donnée par le juge d’instruction avait cessé de produire effet le lundi 18 février 2019 à minuit, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ».
Cass. crim., 1er avr. 2020, n° 19-85.770, P+B+I *
 
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 20 mai 2020.
 
Source : Actualités du droit