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La semaine de la procédure civile et des voies d'exécution

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
15/07/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en procédure civile et voies d’exécution, la semaine du 6 juillet 2020.
Mesure conservatoire – gel des avoirs – paiement des dettes – force majeure
« Selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2018) et les productions, par la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé que la République islamique d’Iran devait suspendre toutes les activités liées à l’enrichissement et au retraitement ainsi que les travaux sur tous projets liés à l’eau lourde, et prendre certaines mesures prescrites par le Conseil des Gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique, que le Conseil de sécurité des Nations Unies a jugé essentielles pour instaurer la confiance dans le fait que le programme nucléaire iranien poursuivait des fins exclusivement pacifiques. Afin de persuader l’Iran de se conformer à cette décision contraignante, le Conseil de sécurité a décidé que l’ensemble des États membres des Nations Unies devrait appliquer un certain nombre de mesures restrictives. Conformément à la résolution 1737 (2006), la position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 a prévu certaines mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, et notamment le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, des entités et des organismes qui participent, sont directement associés ou apportent un soutien aux activités de l’Iran liées à l’enrichissement, au retraitement ou à l’eau lourde, ou à la mise au point par l’Iran de vecteurs d’armes nucléaires. Ces mesures ont été mises en œuvre dans la Communauté européenne par le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007.
Par la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007, le Conseil de sécurité a identifié la société Bank Sepah (la banque Sepah) comme faisant partie des « entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques » de l’Iran auxquelles devait s’appliquer la mesure de gel des avoirs. Cette résolution a été transposée dans le droit communautaire par le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission du 20 avril 2007 modifiant le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil.
Par arrêt du 26 avril 2007, devenu irrévocable, la cour d’appel de Paris a condamné la banque Sepah, ainsi que diverses personnes physiques, à payer à la société Overseas Financial (la société Overseas) la contrevaleur en euros de la somme de 2 500 000 USD, et à la société Oaktree Finance (la société Oaktree) la contrevaleur en euros de la somme de 1 500 000 USD, le tout avec intérêts au taux légal à compter de cet arrêt.
Le 17 janvier 2016, le Conseil de sécurité a radié la banque Sepah de la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran. Cette décision a été transposée dans le droit de l’Union par le règlement d’exécution (UE) n° 2016/74 du Conseil du 22 janvier 2016, entré en vigueur le 23 janvier 2016.
En vertu de l’arrêt du 26 avril 2007, les sociétés Overseas et Oaktree ont, le 17 mai 2016, fait délivrer des commandements de payer aux fins de saisie-vente contre la banque Sepah et, le 5 juillet 2016, fait pratiquer entre les mains de la Société générale des saisies-attributions et des saisies de droits d’associés et valeurs mobilières, au préjudice de la banque Sepah, saisies dénoncées le 8 juillet 2016.
Les 13 juin et 15 juillet 2016, la banque Sepah a assigné les sociétés Overseas et Oaktree devant le juge de l’exécution aux fins de contester ces mesures d’exécution forcée. Les deux procédures ont été jointes.
 
Ne constitue pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d’extériorité, le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités.
L’arrêt relève que, par sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007, transposée par le règlement (CE) n° 441/2007, le Conseil de sécurité a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la banque Sepah. Aux termes de cette résolution, la banque Sepah est désignée comme entité concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques iranien en tant qu’entité d’appui à l’Organisation des industries aérospatiales (AIO) et aux entités placées sous son contrôle, y compris le Groupe industriel Shahid Hemmat (SHIG) et le Groupe industriel Shahid Bagheri (SBIG), tous deux mentionnés dans la résolution 1737 (2006).
Il en résulte que l’impossibilité où se serait trouvée la banque Sepah, qui n’a pas contesté sa désignation devant les juridictions de l’Union, d’utiliser ses avoirs gelés pour exécuter l’arrêt du 26 avril 2007, ne procède pas d’une circonstance extérieure à son activité.
Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du Code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.
 
L’issue du litige dépend du point de savoir si les sociétés Overseas et Oaktree auraient pu interrompre la prescription en diligentant une mesure conservatoire ou d’exécution forcée sur les avoirs gelés de la banque Sepah.
Il convient donc de se demander si l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 423/2007, l’article 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, qui a abrogé et remplacé le règlement (CE) n° 423/2007, et l’article 23, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil du 23 mars 2012, qui a abrogé et remplacé le règlement (UE) n° 961/2010, doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent toute mesure conservatoire ou d’exécution forcée telles que celles prévues au Code des procédures civiles d’exécution français.
Cette question est inédite, tant devant les juridictions de l’Union européenne que devant la Cour de cassation.
D’une part, les règlements (CE) n° 423/2007, (UE) n° 961/2010 et (UE) n° 267/2012 ne comportent aucune disposition interdisant expressément à un créancier de diligenter une mesure conservatoire ou d’exécution forcée sur les biens gelés de son débiteur.
D’autre part, le gel des fonds y est défini comme « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, notamment la gestion de portefeuilles », et le gel des ressources économiques, comme « toute action visant à empêcher l’utilisation de ressources économiques afin d’obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque ».
Il semble, à la lumière de ces définitions, que seuls soient prohibés, s’agissant des fonds gelés, « tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, notamment la gestion de portefeuilles » et, s’agissant des ressources économiques, «  l’utilisation de ressources économiques afin d’obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque ».
Il ne peut donc être exclu que des mesures ne relevant d’aucune de ces prohibitions soient mises en œuvre sur des avoirs gelés.
A cet égard, la Cour considère comme probable que des mesures qui ont pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur ne peuvent être mises en œuvre sur des avoirs gelés qu’avec l’autorisation préalable de l’autorité nationale compétente et uniquement dans les hypothèses visées aux articles 8 à 10 du règlement (CE) n° 423/2007, 17 à 19 du règlement (UE) n° 961/2010, puis 24 à 28 du règlement (UE) n° 267/2012.
La question se pose de savoir si des mesures qui n’ont pas un tel effet attributif peuvent être diligentées sans autorisation préalable sur des avoirs gelés. Ces mesures sont les sûretés judiciaires et les saisies conservatoires, qui sont des mesures conservatoires.
Une sûreté judiciaire peut être constituée à titre conservatoire sur les immeubles, les fonds de commerce, les actions, parts sociales et valeurs mobilières (article L. 531-1 du Code des procédures civiles d’exécution). Les biens grevés d’une sûreté judiciaire demeurent aliénables, mais le prix en est payé et distribué dans les conditions fixées par voie réglementaire (article L. 531-2 du Code des procédures civiles d’exécution).
La sûreté judiciaire, qu’elle soit constituée sur un immeuble (hypothèque), sur un fonds de commerce ou sur des parts sociales et valeurs mobilières (nantissement), est dépourvue d’effet attributif. Elle n’emporte aucune obligation pour le titulaire des biens ou droits concernés de les céder et n’affecte pas son droit de choisir la personne à laquelle il les cède. Elle a pour seul effet qu’en cas de cession des biens et droits sur lesquels elle est constituée, la créance du constituant de la sûreté doit être réglée par priorité au moyen du prix de la cession.
Une saisie conservatoire peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant au débiteur (article L. 521-1 du Code des procédures civiles d’exécution), et notamment sur des créances de somme d’argent ou des droits d’associés et valeurs mobilières.
Les biens meubles corporels, rendus indisponibles par la saisie conservatoire, sont placés sous la garde du débiteur et ne peuvent être ni aliénés ni déplacés, sauf exception, sous peine des sanctions prévues à l’article 314-6 du Code pénal (article R. 522-1, 4°, du Code des procédures civiles d’exécution).
Les droits pécuniaires attachés à l’intégralité des parts ou valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire sont rendus indisponibles par la saisie conservatoire (articles R. 524-1 et R. 524-3 du Code des procédures civiles d’exécution).
La saisie conservatoire de créances produit les effets d’une consignation prévus à l’article 2350 du Code civil (article L. 523-1 du Code des procédures civiles d’exécution). L’article 2350 du Code civil dispose que « le dépôt ou la consignation de sommes, effets ou valeurs, ordonné judiciairement à titre de garantie ou à titre conservatoire, emporte affectation spéciale et droit de préférence au sens de l’article 2333 ». Quant à l’article 2333 du même Code, il précise que « le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ».
La saisie conservatoire est dépourvue d’effet attributif (2e Civ., 4 juillet 2007, pourvoi n° 06-14.825, Bull. 2007, II, n° 201). Les biens, créances et droits saisis restent dans le patrimoine du débiteur.
La saisie conservatoire sur les biens meubles corporels et sur les droits d’associés et valeurs mobilières est convertie en saisie-vente lorsque le créancier, muni d’un titre exécutoire, signifie au débiteur un acte de conversion ; l’effet attributif est alors opéré par la vente des biens saisis (Com., 27 mars 2012, pourvoi n° 11-18.585, Bull. 2012, IV, n° 69 ; 2e Civ., 28 janvier 2016, pourvoi n° 15-13.222, Bull. 2016, II, n° 34). La saisie conservatoire de créances est convertie en saisie-attribution lorsque le créancier, muni d’un titre exécutoire, signifie au débiteur un acte de conversion ; cette conversion emporte un effet attributif immédiat (2e Civ., 23 novembre 2000, pourvoi n° 98-22.795, Bull. 2000, II, n° 153 ; 2e Civ., 25 septembre 2014, pourvoi n° 13-25.552, Bull. 2014, II, n° 197).
La Cour se demande si, faute d’effet attributif, une sûreté judiciaire ou, avant sa conversion, une saisie conservatoire peuvent être diligentées, sans autorisation préalable, sur des avoirs gelés.
Elle s’interroge en particulier sur le point de savoir si, nonobstant l’absence d’effet attributif, de telles mesures n’ont pas pour conséquence une modification de la « destination » des fonds qui en font l’objet, au sens donné à ce terme dans la définition du gel des fonds. En effet, il semble envisageable d’interpréter les articles 1er, sous h), du règlement (CE) n° 423/2007, 1er, sous i), du règlement (UE) n° 961/2010 et 1er, sous k), du règlement (UE) n° 267/2012 en ce sens que le droit d’être payé par priorité sur le prix de cession des droits d’associés ou de valeurs mobilières, comme l’affectation spéciale des créances et le droit de préférence sur celles-ci, modifient la destination de ces fonds.
Elle se demande plus généralement si, nonobstant l’absence d’effet attributif, les sûretés judiciaires et saisies conservatoires ne seraient pas susceptibles de permettre une « utilisation » des fonds qui en font l’objet, au sens donné à ce terme dans la définition du gel des fonds, et une « utilisation » des ressources économiques en faisant l’objet « afin d’obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit », au sens donné à ces termes dans la définition du gel des ressources économiques. Ces mesures, en assurant à celui qui les met en œuvre d’être payé par priorité au moyen des biens, droits et créances hypothéqués, nantis ou saisis à titre conservatoire, une fois le gel levé, pourraient en effet être considérées comme étant de nature à inciter un opérateur économique à contracter avec la personne ou l’entité dont les avoirs sont gelés, ce qui équivaudrait à l’utilisation par cette dernière de la valeur économique de ses avoirs qualifiés de fonds, ou à l’obtention, grâce à la valeur économique de ses avoirs qualifiés de ressources économiques, de fonds, de biens ou de services.
Un tel risque apparaît toutefois inexistant en l’espèce, où les sociétés Overseas et Oaktree cherchent à recouvrer une créance constituée par une décision de justice postérieure au gel des avoirs de la banque Sepah, mais pour une cause à la fois étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à l’instauration de ce gel.
La question se pose donc de savoir si la possibilité de diligenter, sans autorisation préalable, une mesure sur des avoirs gelés s’apprécie par catégorie d’acte, sans avoir égard aux spécificités de l’espèce, ou si, au contraire, ces spécificités peuvent être prises en compte.
La réponse à ces questions ne s’impose pas avec la force de l’évidence, alors que les règlements de l’Union ne comportent aucune disposition expresse et que ni le Tribunal de l’Union ni la Cour de justice n’ont eu l’occasion de se prononcer.
Aussi convient-il de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
Cass. ass. plén., 10 juill. 2020, n° 18-18.542 et 18-21.814, P+B+R+I *
 
 
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 15 août 2020.
 
 
 
 
Source : Actualités du droit